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L’eau de la brume libère les femmes à Sidi Ifni au Maroc

Par Khadija SKALLI | Edition N°:6717 Le 05/03/2024 | Partager

A 1.225 mètres d’altitude, au sommet du mont Boutmezguida au Maroc, une technologie innovante collecte les gouttelettes d’eau du brouillard. Ce projet d’envergure, plus grand parc de collecteurs au monde, a déjà changé la vie de 300 femmes et jeunes filles, délivrées du fardeau de la recherche de l’eau. Aujourd’hui, elles consacrent leur temps libre à l’éducation, à l’alphabétisation et à la formation et maintiennent leur rôle de gardiennes de l’eau.

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Les filets CloudFisher sont des structures métalliques solides et durables. Ils ont une capacité de résistance allant jusqu'à 35 ans selon Aqualonis, la société qui les commercialise. Ils résistent aussi à des rafales de 120 km/heure (Ph. Dar Sihmad)

Face à la faiblesse des précipitations annuelles et à l’épuisement des ressources aquatiques souterraines, 16 villages de la province de Sidi Ifni, dans la région aride et montagneuse d’Aïd Baamrane, au sud-ouest du Maroc, bénéficient d’une technologie innovante pour s’alimenter en eau potable. Les femmes et les filles, à qui la corvée de l’eau était jusqu’alors dévolue, sont les premières bénéficiaires de cette technologie de pointe, appelée CloudFisher. Depuis 2018, elles n’ont plus besoin de parcourir de longues distances, pendant des heures, à la recherche de cette ressource vitale. Celle-ci coule jusqu’à leurs foyers. Comment? A travers la collecte de l’eau de la brume. Un savoir-faire ancestral ressuscité par la technologie.

Perchés à 1.225 mètres d'altitude, au sommet du mont Boutmezguida, dont les versants se recouvrent régulièrement de la brume et des nuages venus de l’Atlantique, de nombreux filets font désormais partie du paysage. Cette structure métallique, en toiles d’araignées, est utilisée pour capturer les gouttelettes d’eau du brouillard. Poussé par le vent, le brouillard traverse les  filets qui attrapent les fines gouttes d’eau. «Celles-ci sont ensuite collectées dans des citernes de stockage. L’eau est écoulée vers les foyers des habitants à travers les canalisations et branchements installés», explique Aissa Derhem, président de la Fondation Dar Si Hmad, initiatrice de ce grand projet. À ce jour, près de 1.000 personnes bénéficient de cette eau. Chaque foyer a droit à 5 tonnes d’eau par mois en payant 10 dirhams par mois et 7 dirhams par tonne d’eau.

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Plus d'une trentaine de filets CloudFisher a été installée sur le mont de Boutmezguida, dans la région d'Aït Baamrane, pour collecter l'eau du brouillard. Ce système permet de collecter 30 litres/ m²/événement brouillard (Ph. Dar Sihmad)

«Notre système a apporté des transformations positives aux communautés, en particulier aux femmes. La migration rurale est intense. Les hommes partent à la recherche d’un travail et les femmes restent au foyer», explique Aissa Derhem. Ce projet a changé la vie de 300 femmes et jeunes filles du village. La Fondation Dar Si Hmad a fondé l’école de l’eau pour sensibiliser les écoliers et écolières des villages concernés aux questions écologiques. Des ateliers d’alphabétisation sont aussi destinés aux femmes bénéficiaires du projet de collecte d’eau de brouillard. «Aujourd’hui, ces femmes sont nos premières interlocutrices dans les villages. Elles gardent leurs rôles ancestraux de gardiennes de l’eau. En cas de problème, elles alertent l’équipe des techniciens pour réparer», souligne Aissa Derhem.
Autrefois un rêve farfelu, l’accès à l’eau potable est devenu une réalité au quotidien pour les habitants de ces 16 villages.

«Une première expérience a été initiée en 2015. Le filet était fabriqué en mailles et donc se déchirait à cause des vents. La région est connue pour ses très fortes rafales allant jusqu’à 70 km/h. Cela générait beaucoup de problèmes. Il fallait les coudre à chaque fois. A partir de là, nous avons décidé d’installer le nouveau système CloudFisher plus résistant, solide et durable», indique Aissa Derhem. Conçu par l’ingénieur Peter Trautwein, membre de la Fondation allemande de l’eau Wasserstiftung et PDG d’Aqualonis, société basée à Munich qui commercialise la technologie, le CloudFisher s’est avéré très efficace après une longue période d’expérimentation menée sur le site de Boutmezguida.

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Les femmes et les jeunes filles sont les principales bénéficiaires du projet de collecte de l'eau du brouillard. Délivrées du fardeau de la recherche de l'eau, les femmes des villages consacrent leur temps libre à l'éducation et aux cours d'alphabétisation (Ph. Dar Sihmad)

«Plus d’une trentaine de filets ont été mis en place. Il s'agit du plus grand parc de collecteurs au monde, avec près de 1.700 mètres carrés», précise Aqualonis. Outre sa capacité de résistance au vent, il permet un meilleur rendement de collecte d’eau. «Ce système permet de collecter 30 litres/m²/événement. Nous avons près d’une centaine d’événements par an. Un événement représente le passage du brouillard», explique le président de la Fondation Dar Si Hmad.

«Le projet a bénéficié du financement de la Coopération allemande et a été mené en partenariat avec la Fondation allemande Munich-RE et l’université de Munich.  La fondation Dar Si Hmad, elle, assure et finance la gestion et l’entretien du système, avec ses propres fonds. Nous avons une équipe de techniciens dédiée à cette tâche», précise Aissa Derhem.

1.088 m² de nouveaux filets en 2025

Ce projet de collecte de brouillard a connu un succès fulgurant. Il a été récompensé au niveau national et international par de nombreux prix et distinctions. La fondation Dar Si Hmad a d’ailleurs décidé d’étendre son projet de collecte à d’autres communautés. «Nous prévoyons d’ajouter 1.088 m² de filets CloudFisher en 2025. La première étape du projet est de connecter six nouveaux villages. La deuxième étape consiste à installer des filets sur le mont Taloust. Nous visons également le mont Tabtist pour mettre en place des filets géants. Notre objectif est d’installer 3.000 m². Selon nos prévisions, nous pourrons enregistrer un rendement important de l’ordre de 80 à 90 litres/ m²/évènement brouillard. Ce qui est énorme», indique Aissa Derhem.

Attendre 2050 pour que toutes les filles aillent à l’école primaire

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Source: Rapport «L'Unesco en action pour l’égalité des genres: 2022-2023»

Bien que la parité des genres ait progressé à l’échelle mondiale, les filles et les femmes les plus vulnérables demeurent exclues de l’éducation, souligne l’Unesco dans son rapport «L'Unesco en action pour l’égalité des genres: 2022-2023». Au rythme actuel, il faudra attendre 2050 pour que toutes les filles aillent à l’école primaire. Quelque 122 millions de filles (soit environ 1 sur 5) ne sont toujours pas scolarisées et 15 millions d’entre elles ne mettront jamais les pieds dans une salle de classe. «La situation est particulièrement choquante en Afghanistan». D’importants écarts sont dissimulés par certaines moyennes : au Tchad, 60 % des filles ne vont toujours pas à l’école, tandis que la parité a été atteinte en Serbie. Les données de l’Unesco montrent qu’en Côte d’Ivoire, au Mali ou au Sénégal, seulement 2 filles sur 10 peuvent espérer suivre le deuxième cycle de l’enseignement secondaire3. Aujourd’hui encore, plus des deux tiers des 763 millions d’adultes analphabètes à travers le monde sont des femmes.

Par Khadija SKALLI

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